dimanche 7 juillet 2013

BRESIL : Samba ou Constituante ? il faut marier les deux !

Manifestation au Brésil, juin 2013


Une ébauche de réflexion sur l'importance stratégique (ou pas) des Assemblées Constituantes, au prisme de l'actualité du monde comme il va.


L'objet d'un processus constituant est de changer de Loi Suprême, ce Code du Vivre Ensemble. Il s'agit de changer la structure d' institutions devenues autobloquantes comme les pavés du même nom à force d'empilement. Et  changer ce faisant l'essentiel du personnel politique lié aux anciennes institutions...

Dans la réalité, une Assemblée constituante dispose-t-elle toujours et en tous lieux, de tels formidables pouvoirs ? A l'aune des mouvements et des réalités d'hier et plus encore d' aujourd'hui, l' affirmation est discutable.

Brésil, la Constituante avortée  

La lutte de classe se porte bien, merci. Tout spécialement dans la plus grande partie de l'hémisphère Sud.

En 2013 la première grande poussée de fièvre populaire au Brésil depuis la chute de la dictature exprimait un ras-le-bol général face aux impasses et aux renoncements d'un pouvoir fédéral "de gauche" à la dérive -Parti des Travailleurs et alliés. (Cf. détails dans l' itw en encadré ci-dessous)
On peut naturellement n'insister que sur ses avancées sociales -réelles- depuis dix ans (programme d'urgence en faveur des plus pauvres), sans parler de ses reculs (dette, réforme agraire....) On peut s'abstenir de critiquer une profonde impasse stratégique. Et néanmoins continuer de le présenter comme la seule option réaliste à gauche, à l'instar de JL Mélenchon, qui fait de l'Assemblée constituante le "point numéro un" de son programme.

Pour reprendre la main, la présidente brésilienne Dilma Roussef s'était déclarée favorable à la mise en place d'une Assemblée Constituante. Elle avait donc proposé au Congrès de se réunir pour décider d'un référendum populaire, parce que la constitution l'empêchait de faire autrement.

Héraut d'une Sixième République en France, Mélenchon lui emboîtait prestement le pas dans le fil d'un billet [ Des chômeurs français et des manifestants brésiliens, 28/06/13 ] et en tirait la conclusion suivante (en gras dans le texte) :

" Le processus d’ébullition déclenché par la constituante est le point d’appui pour mener l’assaut social "

Or, ces manifestations de masse ne devaient strictement rien à un processus constituant qui n'a du reste jamais été au programme du PT (1). La colère sociale résultait uniquement des effets négatifs à long terme du réformisme faible (2) incarné par ce "gouvernement ami". Au fond, c'est ce que déplorait le plus J-L Mélenchon :



" Je me situe donc ici comme une personne qui se sent assez proche du gouvernement brésilien pour ne pas vouloir sa fin honteuse sous les coups d’un mouvement qui nous ressemble. Je choisi cet angle pour m’éviter d’adopter deux lignes de critiques de gauche qui, selon moi, mènent à l’impasse. "


Joli tour de passe-passe, feignant de se situer des deux côtés du manche à la fois, tout en éludant le bilan médiocre au plan social, catastrophique au plan environnemental, de 10 ans de coalitions à dominante PT (3). En lisant attentivement ce billet on déniche une allusion sybiline à la corruption généralisée de l'Etat brésilien :


" ... la jeune génération (...) identifie une insupportable perte de légitimité des autorités qui ont en charge le bon fonctionnement de la société "

Lorsqu'il évoque un gouvernement ami, Jean-Luc Mélenchon répugne décidément à appeler un chat un chat, et la corruption, une gangrène.

Les messages envoyés à ses amis semblaient frappés au coin du bon sens :

- Il faut satisfaire au plus vite les revendications des couches modestes en matière de transports publics, d'éducation, d'équipements de santé...

- Le pouvoir doit impulser un grand chantier de refonte complète des institutions brésiliennes, et le plus tôt serait le mieux.


Encore fallait-il, pour sortir de cette situation, que les dirigeants de ce pays soient disposés à changer radicalement d'orientation et pour celà déterminés à affronter l'oligarchie, en appelant à la mobilisation populaire. On en est très, très loin. La vérité est qu'au Brésil, toutes les formations de la coalition au pouvoir, qui s'échangent des postes et se rachètent des voix (!) en sont totalement incapables, quand elles n'y sont pas hostiles.

...la suite sous l'encadré

Le site MEMOIRES DES LUTTES a fait paraître un dossier Brésil comprenant notamment un entretien avec João Pedro Stedile, coordinateur national du Mouvement des Sans Terre. En voici un extrait édifiant  :

Question
- Du point de vue politique, quelles sont les causes du mouvement ?

João Pedro Stedile
- Les quinze ans de néolibéralisme suivis de dix ans de politique de conciliation de classes ont transformé la manière de faire de la politique. Celle-ci est devenue l’otage des intérêts du capital. Les partis ont reproduit leurs vieilles pratiques et se sont transformés en boutiques qui attirent en majorité des opportunistes qui se battent pour accéder à des mandats publics ou capter des fonds publics en fonction de leurs intérêts. Toute une jeunesse arrivée après coup n’a pas eu la possibilité de participer à la politique. Aujourd’hui, tout candidat à un mandat public doit posséder plus d’un million de reais ; un mandat de député coûte à peu près dix millions. Les capitalistes paient et les politiques obéissent. La jeunesse en a par-dessus la tête de cette manière bourgeoise, mercantile, de faire de la politique. Mais le plus grave, c’est que les partis de la gauche institutionnelle, sans exception, ont adopté ces méthodes. Ils ont vieilli et se sont bureaucratisés. Cette manière d’agir des partis a dégoûté les jeunes. Et ils ont raison. La jeunesse n’est pas apolitique, au contraire, elle vient de remettre la politique dans la rue même sans avoir conscience de sa signification. Ce qu’elle dit, c’est qu’elle ne supporte plus d’assister à la télévision à ces pratiques politiques, qui prennent le vote des citoyens en otage, sur base du mensonge et de la manipulation. Et les partis de gauche ont besoin de réapprendre que leur rôle est d’organiser la lutte sociale et de politiser la classe des travailleurs s’ils ne veulent pas passer aux oubliettes de l’histoire.

Tout l’entretien est de la même eau… :
http://www.medelu.org/Signification-et-perspectives-des



Dans le cas du Venezuela, auquel J-LM fait également référence dans ce billet, (" Le bon Brésil modéré en face du méchant Venezuela était une construction de propagande.") il serait au minimum exagéré de soutenir qu'un "assaut social" ait été déclenché à la faveur du processus d'élaboration de la nouvelle constitution bolivarienne, pas plus qu'après sa proclamation.


La Tunisie et l' Egypte sont des pays arabes en révolution où la poussée des masses a réussi à démettre deux autocrates, et débouché pour l'une sur la formation d'une assemblée constituante issue des urnes, et à la suspension de la constitution en vigueur sous Moubarak pour l'autre...

Dans le cas tunisien, on ne peut pas soutenir non plus que l'Assemblée Constituante première manière ait pu fournir le moindre " point d'appui " à l'énergie des masses pour "mener l'assaut social". Non seulement cette Assemblée n'a déclenché aucun "processus d'ébullition" mais, sous la pression de l'islamisme politique notamment, elle a contribué à canaliser la composante laïque du mouvement populaire, trop remuante et revendicative à son goût

 Edit du 24/10/14 : Fin 2014, on estimait à 2 400 le nombre de tunisiens partis faire le djihad en Syrie.

Privée tant de constitution que d'une assemblée constituante, l' Egypte poursuit sa révolution par des voies extraordinairement tortueuses. En juillet 2013, tandis que le pays plongeait dans une profonde dépression économique, les masses acclamaient joyeusement la destitution de Mohammed Morsi par un coup d'état militaire, un an et 3 jours à peine après l'arrivée au pouvoir du candidat des Frères Musulmans ... (4)

Devant l'Histoire, une assemblée constituante n'est jamais en soi révolutionnaire ou pré-révolutionnaire. Son rôle, ses attributions, ses limites, reflètent les processus socio-politiques réellement existants, dans des conditions spécifiques à chaque pays considéré, ils ne peuvent s'en abstraire.

 
En France, la Convention (1791-1795) fut clairement et sans conteste le centre névralgique du processus de renversement de l'Ancien Régime et d'édification de nouvelles institutions.
Ces fondations posées, et à dater de la Constituante proclamée par les fossoyeurs de la Commune de Paris le 31 août 1871, les assemblées suivantes ne s'appliqueront plus jusqu'à nos jours qu'à moderniser les institutions  bourgeoises libérales du pouvoir.

Sauf à envisager, à plus de deux cent ans d'intervalle, la possibilité d'un remake du scénario initial de la Révolution Française, il n'existe guère qu'une garantie permanente, universelle, majeure, à l'essor d'un cycle d'émancipation sociale dans quelque pays que ce soit.

Ces chances de succès tiennent au degré de matûrité, au développement de l'activité créatrice autonome, privilégiée et multiforme des masses, à leur intervention permanente, considérée non comme une source de déstabilisation économique ou une base de manoeuvre pour les partis en lutte, mais comme actrice prépondérante du processus en premier et dernier ressort, et à chaque étape. En d'autres termes, dans les périodes charnières de l'Histoire rien ne doit s'opposer à ce que le peuple pèse en permanence sur la scène politique de tout le poids de sa mobilisation.

Cette exigence prime à nos yeux sur toute autre considération. Dans l'esprit des partisans d'une nouvelle république sociale, plus juste et plus humaine, elle devrait s'imposer comme un impératif pour la transition.

JMB, 05.07.13.






1. La Constitution brésilienne de 1988 actuellement en vigueur a été rédigée par des députés élus sous l'ancien régime.


2. Selon l'expression du politiste André Singer. Cité par D. Estevam dans "Du Parti des travailleurs au parti de Lula" , Le Diplo en ligne : http://www.monde-diplomatique.fr/2013/07/ESTEVAM/49302


3. " En 2012, le Brésil était encore l’un des pires pays d’Amérique Latine en termes de distribution de revenus. 40 % du budget fédéral se voyait accaparé par la dette – majoritairement interne et détenue par les familles fortunées du pays – contre environ 4 % pour la santé, 3 % pour l’éducation et 0,70 % pour les transports, tous trois parmi les préoccupations principales des manifestants de juin 2013 " (op. cit.).
Cf aussi:
" Le Brésil doit encore manifester pour changer " de Elimar Pinheiro do Nascimento, sociologue, professeur de l'Université de Brasilia
 " Le Brésil a la tête pleine de merde" de P. Nicolino [Sur les rêves de grandeur de ce pays fou de croissance à tout prix et archi-pronucléaire]

4. Cf. " Morsi chassé du pouvoir : il faut satisfaire les besoins du peuple égyptien" (Communiqué de la Gauche Anticapitaliste)


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