vendredi 5 mars 2010

Europe Ecologie ou le triomphe de la société du spectacle


Beau spectacle que celui d'Europe-Ecologie hier soir halle Clémenceau à Grenoble. Emergeant de la grisaille dans cette morne campagne électorale, ils ont réuni un casting brillant et nombreux -ne manquait que Cohn-Bendit, pas prévu, et Cécile Duflot, empêchée- et offert une prestation du groupe No Mad en conclusion du meeting.
Pour la deuxième fois depuis les européennes 2009 et le rasssemblement de la Bastille, EE a réuni 1000 à 1200 participants, faisant de cette soirée du 4 mars 2010, le plus gros succès politico-festif grenoblois.

A les entendre, nos euro-écologistes veulent rien moins " qu' aider à changer le monde" ( les derniers mots de Noel Mamère). La ferveur allant crescendo, entre deux tables-rondes bon chic, on put ouïr quelques formules fleurant bon la révolution, verte d'abord, évidemment, mais rouge-rose et un peu sociale aussi, enfin, son parfum. Pour finir de vider le marigot à gauche de la gauche, tout en rassurant le bobo au centre. Tout fait ventre !

La réalité d' EE est "un peu" différente, et là l'euphémisme est de trop. Nous reproduisons ci dessous sans son aimable autorisation, de larges extraits d'un article de Vincent Cheynet paru dans La Décroissance, numéro de mars 2010, auquel j'ai aussi emprunté le titre afférent.

Pourquoi le reproduire quasi in-extenso ? Pour trois raisons : Une, parce que ce journal papier, pas assez diffusé en kiosque, n'existe pas sous d'autres formes; deux, parce qu' on a apprécié l' angle du papier, mis en musique sur l'air de "que sont mes amis devenus, que j'avais de si près tenus". Trois, pour vous convaincre de le soutenir, en vous abonnant vous aussi...
JMB

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"Faire de la politique autrement" était le mot d'ordre de l'écologie lorsqu'elle est entrée en politique dans les années 1970. Quarante ans plus tard, c'est la société du spectacle qui triomphe chez les Verts. sa dénonciation était pourtant un des fondements de l'écologie politique.

" On a fait un casting plutôt de mecs, de vieux, blancs et cumulards ! L'anti-Vert, quoi, et on disait que ça ne marcherait jamais. Et ça à marché..." Figure historique des Verts, c'est ainsi qu'Etienne Tête plaidait pour la reproduction aux régionales de l'expérience des électins européennes dans le Progrès du 13 juin 2009. Beau succès! Alain Bucherie vient quant à lui de quitter les Verts. Cet élu de La Rochelle observe: " les Verts sont aveuglés par la peopolisation et la recherche de starisation pour leurs listes " (Sud-Ouest, 4-1-2010).

Résultat de casting

Augustin Legrand, très médiatique fondateur des Enfants de Don Quichotte, Philippe Meirieu, pédagogiste médiatique, Robert Lion, haut fonctionnaire promoteur du quartier de la Défense, Yves Paccalet, auteur à succès et écologiste malthusien... Il ne s'agit plus de trouver des écologistes capables et de les faire connaître, mais d'un véritable casting où les candidats sont recrutés en fonction de leur notoriété.

Laurence Vichnievsky est une bonne représentante de cette logique. Magistrate médiatique, elle a été parachutée tête de liste d' Europe Ecologie pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Etrangère à l'écologie politique, elle se vante de tutoyer Nicolas Sarkozy au nom d'une "relation amicale ancienne" (RMC, 21-1-2010).

Reproduisant dans l'altermonde le cas de Jean Sarkozy, il s' en est fallu de peu que Marie Bové, fille de José, ne soit tête de liste Europe Ecologie en Aquitaine. " Les chiens ne font pas des chats ", argumentait son soutien le député-maire-avocat-écrivain Noël Mamère ( Sud Ouest,20-10-2009). Parce que les rois font des princes, et les ouvriers des alcooliques ?..

La politique est justement l'endroit où tout doit être mis en oeuvre pour s'affranchir au maximum des déterminismes sociaux. Au contraire, les listes des Verts pour les régionales s'alignent sur l'audimat, écartant les militants expérimentés. Au regard de la contestation de la société du spectacle, la liste écologique est la pire des listes de l'échiquier politique.

En 1980, dans son ouvrage Le Feu Vert, Bernard Charbonneau affirmait : " Le développement, donc la nécessité de le freiner, devrait être le delenda est carthago à chaque instant rappelé, faute duquel les diverses critiques ou actions d'un mouvement écologiste manquent d'un fondement. S'il veut désigner un adversaire, le nucléaire n'en indique qu'un aspect, tandis que le développement les englobe tous. (...)
En choisissant le train contre l'auto sans mettre en cause le développement, on en arrive à soutenir le TGV, donc un pas de plus vers la destruction de la Bourgogne. Tandis que si l'on pose la vraie question: pourquoi Paris-Lyon en deux heures au lieu de quatre ? La réponse devient très claire. (...) Les innombrables menaces qui mobilisent les écologistes et risquent de les disperser ne sont que les multiples effets d'une seule cause : la religion, donc la pratique aveugle du développement (ou croissance) technique et économique. (...) C'est sur ce point que les vrais défenseurs de la nature et de l'homme se distingueront des zélateurs officiels de "l'environnement" et de la "qualité de vie"
. " (réédition Parangon, 2009).

Poil de yack

Où sont les Verts aujurd'hui ? Tous ou presque sont de l'autre côté du clivage décrit par l'écrivain. Ils se transforment à l'image de la société : quand on est incapable de changer le monde, on change les mots. [ ndlr : preuve que Cheynet connaît bien son sujet ]

Puisque la société refuse d'évoluer, investissons l'étiquette verte et le tour est joué. le logo de MacDonald n'est-il pas devenu vert ? Sarkozy et AREVA ne sont-ils pas les champions mondiaux de la défense de la planète ? "Tout est durable puisque rien ne l'est", oberve l'écologiste Stephen Kerchkove. A Lyon, où est fabriqué ce journal, ce sont les Verts, à travers leur chef Gilles Buna, deuxième adjoint, qui mènent les politiques pour la construction des tours commerciales, les parkings souterrains ou même la vidéosurveillance.

Eric Loiselet, candidat débauché du Parti Socialiste par les Verts, finit par tenir à l'intérieur de ce parti des discours autrefois réservés aux détracteurs des écologistes : " Loin d'être des partisans de la décroissance, du retour à la bougie et de la dépopulation, [les Verts veulent] retrouver le chemin du développement économique, de la dynamique démographique et tourner enfin la page du XXe siècle " (AFP, 1-2-2010).

Aux universités d'été des Verts, un de leurs élus, Jean-Marc Brûlé, affirmait que " tous les directeurs de développement durable des grands groupes sont des alliés objectifs", et de préciser que les autres écolos sont des écolos " en poncho en poil de yack " (20 Minutes, 22-8-2009). Le TGV, le greenwhashing et la haine des écolos comme nouvel horizon utopique des Verts ?

Tout celà à au moins le mérite de la clarté : c'est devant les caméras de télé que "Gaby" , le frère et stratège de Daniel Cohn-Bendit, déclare vouloir faire d' Europe Ecologie un parti qui aille "de José Bové à Nathalie Kosciusko-Morizet [la secrétaire nationale adjointe de l' UMP] " ( Canal +, été 2009).

Paillasson pour apparatchicks

Parallèlement, où sont les objecteurs de croissance sur les listes vertes ? Nulle part ! ou presque, car bien entendu, quelques exceptions utilisées comme idiots utiles viendront contredire cette analyse. " Nous sommes pour une croissance sélective, et non pour une décroissance comme veulent le faire croire nos détracteurs", avertit la secrétaire nationale des Verts, Cécile Duflot, en vidant de son sens le projet politique de la décroissance dans des arguties "quantitatives" et "sélectives" (Choisir, 12-2009).

Si les vedettes, des élus socialistes et jusqu'à un sarkozyste -Cohn-Bendit voulait débaucher Martin Hirsh - sont couramment sollicités par les Verts, les téléphones des "cinglés" (comme nous a qualifiés Daniel Cohn-Bendit) restent silencieux. Rassurez-vous, nous ne sommes pas jaloux. Et pourtant, nos idées ressemblent à s'y méprendre à celles des écologistes lorsqu'ils sont entrés sur la scène politique voici trente ans. Nonobstant : ceux qui portent désormais ces idées sont devenus infréquentables. C'est à cette dérive que l'on mesure le recul d'un parti devenu, à de notables exceptions près, un paillasson destiné à satisfaire les ambitions d'apparatchiks avides de pouvoir. Avant de quitter les Verts pour le Parti de Gauche, Martine Billard déclarait: " J'estime à deux mille le nombre d'élus et de salariés politiques, sur cinq mille adhérents réels. Ca finit par peser très fortement." [ndlr: même au PS qui n'est pourtant qu' un parti d'élus, le ratio est bien inférieur] (...) On a l'habitude d'ironiser chez les Verts en disant que, dans le parti, il y a les élus, les salariés d'élus, et ceux qui veulent prendre leur place."
Pour gagner ces places, la décroissance ne rapporte pas. Aussi les Verts ont-ils vendu ce qu'il leur restait d'âme au héraut médiatique du capitalisme vert, Daniel Cohn-Bendit. Résultat : l'écologie politique est plus encore l'alliée du productivisme (vert) et du capitalisme (durable).

Cri outré

Lecteur élu des Verts, je devine ton sourire condescendant ou ton sursaut de notable offusqué dans ta vertu. Tu renverras invariablement de tels propos à l'outrance qui qualifie son auteur. Tu nous fais bien rire : ce jeu rhétorique est usé jusqu'à la corde et vieux comme le monde. Les esclavagistes au XVIIIe siècle n'avaient de cesse de se présenter comme des "modérés", qualifiant les militants abolitionnistes d'extrémistes.

La décroissance milite pour la sortie de l'économisme, c'est-à-dire le refus de mesurer la réussité à travers des critères comptables. Il en est de même pour l'électoralisme : le succès de la morale politique ne se mesure ni à travers les sondages, ni au nombre de voix, ni au nombre d'articles de presse. Même si tout celà est très important, celà demeure second à nos yeux. Nous sommes d'abord des démocrates, mais nous savons que des demi-fous (Georges W. Bush) ou des dictateurs (Napoléon III) sont sortis des urnes. " Vous voulez gagner ou vous voulez avoir raison ? " demandait cet été Dany l' Orangé aux Verts, en les enjoignant d'aller dans le sens du courant. Le mal du monde est dans cette formule où les considérations stratégiques supplantent les convictions. (...) Même celui qui incarnait la version contemporaine d' Astérix s'est rendu au marketing politique.

Stars et cumulards

La démocratie se retrouve ainsi sclérosée au profit de quelques individus. Nous l'observons directement à Lyon avec le tandem Gérard Collomb (PS) et Gilles Buna (Verts). Après une décennie de mise en place de leur potentat grâce à un jeu de pions, il faudrait quasiment une révolution pour arriver à les chasser du pouvoir. Limiter à un mandat non renouvelable l'exercice politique devrait être une priorité de la République pour éviter le carriérisme politique, ou la mise en place d'une forme de néo-féodalisme. le non-cumul des mandats était d'ailleurs un des principes légaux des Verts. le mettre en application révolutionnerait la vie démocratique de notre pays, y compris désormais dans le parti écologiste (...)

VINCENT CHEYNET

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