lundi 2 janvier 2012

Commotion, avenir radieux de l'internet libre

Facebook c'était hier

Ni Dieu ni Diable, mais tout de même. Dans le club fermé des géants de l'internet, personne à l'heure actuelle ne semble capable d'égratigner la courbe de croissance taillée en pointe de Facebook sur le segment de marché très convoité des réseaux dit sociaux.
Avec + de 800 millions d'abonnés fin 2011 (¹) FB creuse l'écart sur la concurence, en dépit du lancement de Google +, qu' aucune éthique particulière ne différencie de lui, excepté, mais c'est central, un soutien ouvert à la fine fleur du logiciel libre dans l'esprit et à la lettre, ce qui n'est pas à mes yeux une mince affaire, on y revient plus loin.
Contre les apparences, la décade à venir augure d'un retour en force du web libre des origines, libertaire, bricolo-génial et non-marchand, pour le plus grand bien de la créativité sociale et de la liberté d'expression, deux conditions expresses de la démocratie réelle, donc du bien commun. Enfin !

L' internet libre et gratuit pour tous, c'est demain.
 
Un projet révolutionnaire et sexy apparaît, totalement indépendant techniquement des réseaux marchands, et hors de contrôle des gouvernements, à moins de tout couper. Le grand black-out du net a certes déjà été appliqué par Moubarak en Egypte, mais même de tels actes ne résistent pas, en théorie, à la puissance du projet. Et puis un black-out durable à l'échelle d'un pays n'est même pas envisageable pour la simple raison que le net est devenu indispensable à la marche des affaires.
Le projet a pour nom Commotion.
Commotion est un rêve de geek en passe de devenir réalité. Il vise avant tout à offrir un accès sécurisé à Internet partout, gratuitement, sans passer par les opérateurs, à l'aide d'un simple PC ou d’un smartphone.   
Commotion " permet de créer des réseaux sans fil haut débit complètement autonomes, anonymes, fonctionnant sur des fréquences Wi-Fi et ne reposant sur aucune infrastructure d'opérateur. Pas besoin d'antenne relais, de téléphone, ni de câble ou de satellite. Ces réseaux seront déployables à volonté, ils ne seront pas centralisés et permettront de contourner toute forme de contrôle car le trafic sera crypté." (Degroup News)

Lisez l'article d'Yves Eudes consacré à ses promoteurs pour vous faire une meilleure idée.
Ensuite, connectez-vous sur votre réseau social préféré, et faites une recherche : parbleu, bien sûr qu' il n'y a rien sur le sujet, puisque me dit-on, vous y passez le plus clair de votre temps de connexion...

Fin 2012 - début 2013, tou(te) citoyen(ne) connecté(e) devra faire l'effort de comprendre de quoi Commotion est le nom, afin de saisir les enjeux, de relever les défis démocratiques énormes que porte ce projet, et surtout de participer avec enthousiasme à son déploiement mondial :)

L'avenir de l'internet n'est donc peut-être pas aussi sombre que d'aucuns le prétendent... L'avenir de l'internet est non-marchand, ou il n'aura pas plus d'avenir que TF1. Internet est l'affaire de tous.

Mais revenons une dernière fois (?) sur les années Facebook.

On ne mesure pas l'étendue des dommages liés à l'expansion sans frein de FB, grace au "partenariat" de dizaines de milliers de sites, de portails, de "grands médias" ou de blogs mués ipso facto en auxiliaires de recrutement pour cette pieuvre (?). Et confondus par les choix malheureux des spécialistes es réseaux sociaux, qui qualifient d' écosystème une vile entreprise de marketing ciblé.

Le développement de FB à franchi un grand pas vers une forme monopolistique de "réseautage social" qui ne laisse pas d' inquiéter. Comme tout monopole ? Et Google, et Skype, Oracle, IBM et ceci et celà ? Oui, oui, d'accord, c'est consubstantiel au système global. Mais là, voyez-vous, il ne s'agit plus de faire la pluie et le beau temps assis sur une montagne de brevets ou de barils de pétrole, c'est un peu plus subtil que ça. Il s'agit de nos petites vies, de nos amours, de nos goûts, de nos moeurs, de tout ce qui fait le sel et la qualité de nos relations ou à l'inverse de nos non-relations avec les autres, les vrais gens virtualisés à divers degrés, qui se retrouvent dans des bases de données parfaitement opaques. FB vous "invite" ainsi à recruter vous-même et vendre parents, ami(e)s, et petites-amies à ses annonceurs. L' impact strictement économique et financier de FB sur l'économie américaine n'est lui-même pas négligeable. Et voyez-vous, ça continue de me faire peur.

Tellement insidieusement envahissant ce FB, que les newbies de l'année le prennent, lui et une poignée de sites, pour le Réseau des réseaux lui-même. Ben non. FB c'est juste un bout du Réseau des réseaux, une couche logicielle superficielle et privative malgré les apparences, plus agressivement commerciale que les autres.
Sa force stratégique est d'avoir su miser moins sur la qualité du produit que sur l'effet boule-de-neige, sur la moutonnerie galopante et glougloutante des consommateurs qui effectuent pour lui l'essentiel du boulot. "Donnant-donnant" dites-vous ? J'arrive pas à m'y faire; il y a tellement mieux à faire, plus respectueux de la vie privée notamment, en matière de "réseau d'amis" (sic)...

Facebook auxiliaire des pires crimes ici (piéger les opposants au boucher syrien Assad), Facebook artisan de la chasse à l'activiste néonazi là (il était seul ?) Facebook briseur de ménages ailleurs : selon une étude réalisée sur des foyers anglais divorcés ou en instance de le faire, ce réseau social privé, mais public, serait impliqué pour 30% des cas, à son corps défendant si je puis dire.

Disons que parmi toutes les variétés de prédateurs qui traînent sur le net, certains plus activistes que les autres pourraient finir par gâcher la belle image de marque. Et faire fuir le client à la longue. Fatal pour le business...

Selon une étude récente, 39 % des "ami(e)s"  dont vous vous êtes séparé sur Facebook ont essayé de vous vendre quelque chose. Encore faut-il avoir suivi scrupuleusement la procédure pour vous débarrasser vraiment des fâcheux [ How to ici]. Ah, la bonne vieille méthode de la porte-au-nez dans la figure du VRP trop insistant.... c'était expéditif, et efficace.

Pour le reste, FB n'est qu'une grosse caisse de résonnance de la société telle qu'elle va, soit. Et une aubaine pour les sociologues (²). Soit (-re).


Commotion : Et les gens se mettent à construire leurs propres réseaux.


Vous pouvez toujours essayer de lancer un fork depuis votre cuisine ou votre chambre d'étudiant, mais sauf à disposer de l'appui de l' administration américaine, qui vous taillera une législation sur-mesure, ou de quelques millions de dollars de crédit auprès des banques, l'histoire ne repasse pas deux fois les plats...
Parlant gros sous, qui soutiens Commotion ? Justement, Commotion dispose à la fois de l'un et de l'autre... Google abonde au projet à concurrence de 2,3 millions de budget annuel; et le département d'Etat sous Obama lui a versé une subvention exceptionnelle de 2 millions. Mais alors, face à de tels regroupements d'intérêts, qu'est-ce qui fait la différence ?

Ce débat politique au premier chef est celui, complexe et enchevêtré, des conception(s) du logiciel libre que poussent devant eux différents acteurs publics et privés, c'est celui des relations entre ces acteurs, les communautés de hackers et les utilisateurs finaux indifférents, ou semi-indifférents, i.e vous et moi derrières nos écrans..., c'est un débat sur les avancées et les reculs stratégiques qui s' attachent au libre, sur les usages, les habitus que ces acteurs sont à terme susceptibles  d'influencer, de modifier, voire de changer, plus profondément que des décrets ministériels. On ne peut qu'éluder sous peine de faire vraiment trop long, mais on y reviendra.

Résumons :
- Technologie libre à 100%, peu onéreuse, Commotion a le potentiel suffisant pour permettre le redéploiement à grande échelle d'un réseau citoyen, décentralisé, non-marchand.
- Technologie fermée, censurée, contrôlée et monnayée de l'autre : c'est la tendance lourde à l'oeuvre aujourd'hui chez les opérateurs et les marchands sur le Réseau des réseaux, avec le concours actif des gouvernements totalitaires ou réactionnaires, tels ceux de Sarkozy/Fillon, qui d'Hadopi en Loppsi et Acta égrènent imperturbablement leur chapelet de mesure policières et liberticides depuis 2007.

Et maintenant, essaie de retenir ceci petit scarabée :

- Facebook n'est pas à ton service, non, définitivement. Il se sert de toi. Comment ? Comme une pyramide de Madoff si tu veux, mais l'unité de compte ce sont tes "ami(e)s". Lui, il est tout en haut. Passez la monnaie. Et toi et tes amis vous êtes payés en monnaie de singe. Et si tu déplait vraiment à la grosse boi-boite, t'es banni. Compris ?

- Facebook ne pense pas pour toi, pas encore. Là ça va, c'est une chance ... et encore, pas pour tout le monde :(

- Facebook ne défends pas le logiciel libre, c'est au contraire un étendard de la croisade des multinationales et des majors en faveur du droit d'auteur privatif et du brevetage tous azimuth, i.e d'une conception du "droit" de propriété très singulière, qui place celle-ci au faîte de la hiérarchie des valeurs, au-dessus de toutes les autres "libertés", conditionnant même toutes les autres "libertés", si tu pousses un peu le débat.

- Facebook n'a pas d'amis, Facebook n'a que des clients.

Voilà, tu en sais assez maintenant pour tapisser ton mur d'images de libelles vengeurs et d'icônes rebelles du plus bel effet ... et passer à autre chose.

Notes :

(¹) Hubert Guillaud, auteur de "Comprendre Facebook" avance le chiffre d'un milliard d'utilisateurs.
(²) Sur la fonction phatique de l'internet et l'importance sociale du bavardage par exemple, voir l'excellent dossier de Futura-Science  "Comprendre Facebook" op.cit

Bibliographie :
Quelle philosophie est inscrite dans Facebook ? par Xavier de la Porte. Recension d'un article de Zadie Smith paru dans la New York Review of Books.
La vie privée, un problème de vieux cons ?  par Jean-Marc Manach. Recension par l'auteur et bonnes feuilles de son livre éponyme.
Récréation : Dessin de Laurent Taudin alias tOad inspiré par FB, pour se raffraîchir les yeux.

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