lundi 22 février 2010

Internet se referme-t-il ?

revu et complété vendredi 26 fevrier 2010



On peut s'interroger. Et on ne pense pas seulement aux ridicules et inapplicables lois franchouillardes Hadopi /Loppsi. Ca, c'est de la petite bière.

Dans une récente lettre ouverte au géant des géants mondiaux de l'internet, la Free Software Foundation (FSF) souligne que " Google est à présent en position de standardiser les formats vidéo libres et ainsi libérer le Web à la fois du Flash et du codec propriétaire H.264."

Ceci devrait être accueilli comme une bonne nouvelle. En effet l' évolution technique du standard des pages Web, le HTML, donne les moyens de s'affranchir au meilleur coût pour l'utilisateur, des formats propriétaires vidéo et son (Flash, QuickTime, WMA, RealAudio, et l'on en passe). Ces formats ne sont ni les plus sûrs ni les meilleurs. Ils sont fermés, ils s'excluent mutuellement, ils sont souvent à l'origine d'ennuis pour l'utilisateur. Et sur le plan des libertés, c'est un désastre : en cheville avec les majors, Micro$oft et Apple ajoutent du "cryptage anticopie" (DRM) à leurs formats multimedia en plus de truffer leurs systèmes et leurs lecteurs de mouchards en tous genres. Mais comment accorder tout ce beau monde sur un standard ?

Oui bon, et alors ? du moment que je continue d'avoir accès à YouTube en HD, en quoi ça me regarde ? se dit l'internaute amateur (et maintenant producteur) de vidéos en libre accès.

Ecrire que l'opinion ne s'intéresse guère à la bataille des formats propriétaires, et que peu de gens en saisissent les enjeux est un délicat euphémisme. Raison de plus pour insister sur une idée simple : En matière de choix technologiques -singulièrement dans les T.I.C- laisser les groupes privés libres d'imposer au grand public leurs propres orientations techniques aujourd'hui au détriment des solutions ouvertes, c'est les laisser modifier les fondements de la société dans laquelle nous vivrons demain, ni plus ni moins. Les politiques, et bien davantage, les citoyens et producteurs de contenus que nous sommes devenus, peuvent pourtant infléchir le cours des choses. Les succès modestes mais encourageants de l' APRIL, de la ligue ODebi, de la fondation Mozilla, de Canonical (qui développe Ubuntu), etc montrent que le combat contre les pratiques monopolistiques des géants informatiques, ou contre le puissant lobby des industriels du divertissement n'est pas encore perdu .

Voilà pourquoi les enjeux pointés par la lettre de la FSF, [ traduite ici en français] un peu obscurs de prime abord, sont importants.

En gros, tout tourne autour de la question : " Quel sera le codec retenu pour la balise vidéo de HTML 5 ? ".

Réaliste, la FSF pense que seule la société Google est aujourd'hui assez puissante pour mettre tout le monde d'accord. Ce qu'elle traduit en résumé par les deux souhaits suivants :

- Que Google, propriétaire de YouTube, "libère" le format VP8, format vidéo dont elle possède les droits après le rachat de la société qui l'a mis au point (On2), afin que l’ensemble des navigateurs et des sites web puissent en bénéficier.
- Que Google utilise ce format sur sa propre plateforme vidéo, la plus importante au monde (notons que la plus large part des contenus est fournie gratuitement par les internautes...).

Selon ce scénario, le VP8 aurait de bonnes chances de devenir un standard de fait, à la condition expresse que son code source passe dans le domaine public... Il reste qu'en appeler pour se faire à l'arbitrage d'une firme privée en dit long sur l'impuissance publique des organismes censés réguler le Net et améliorer les normes existantes dans l'intérêt général. Oui, cet appel est au moins aussi inquiétant que le problème soulevé est réel.

Ouvrir un avenir meilleur pour les libertés sur le réseau mondial ne se limite pas, même si c'est important, à en finir avec les formats verrouillés imposés par les multinationales, au premier rang desquelles vient Microsoft, qui continue de s'appuyer sur cette stratégie comme si de rien n'était, avec le succès que l'on sait.

Les prochaines décisions stratégiques du géant des moteurs de recherche seront sans doute déterminantes pour l'avenir du web, qui n'est qu'une partie du réseau des réseaux. Sont-elles moins préoccupantes pour les libertés que le projet du gouvernement Chinois, qui se dote actuellement de son propre système de serveurs DNS ? Rien n'est moins sûr.

Méga-intranet Chinois versus internet marchand ?

En Chine, le gouvernement met la dernière main à un plan de réduction du réseau des réseaux à une sorte d' énorme intranet à sa botte, restreignant l'accessibilité du pékin (ok elle est facile) au seul web 100% chinois, lui-même déjà sévèrement censuré. La dictature se donne à terme les moyens d'isoler plus d'un milliard d'êtres humains du restant du réseau mondial !

Ses décisions dictées d'abord par des considérations politiques sonnent le glas d'une liberté d'expression à peine entraperçue par les internautes chinois. Sur le Net, ce droit précieux entre tous est donc totalement lié, mais pas seulement, à la défense bec et ongles de l'interopérabilité des réseaux physiques, des standards universels, des protocoles ouverts et des logiciels libres.

Protocoles et logiciels qui furent précisément à l' origine du décollage et de la croissance phénoménale de l'internet comme espace de liberté... en ces temps lointains où le dépôt de brevet sur un bouton de souris ou un format d'image n'existait pas, parce qu'il n'y avait pas de marché.

La conclusion, peu originale, n'échappera à personne. Dans les sphères dirigeantes du capitalisme mondialisé, les technologies s'évaluent à l'aune des intérêts des grands groupes, ou, dit autrement, de leur accès au marché le plus vaste possible. Il n'y a donc, hélas, pas grand risque à parier que les stratégies des grands opérateurs du réseau mondial sauront s'adapter au projet de la plus puissante et influente dictature de la planète, sans violation excessive de ses intérêts. L'enfer est pavé de bonnes intentions.

JMB

Notes: Sur l'adoption définitive du projet de loi HADOPI en France lire le communiqué de l' APRIL : Une logique obscurantiste risible

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