samedi 28 mai 2011

Indignados : "Nos rêves ne tiennent pas dans vos urnes "

mis à jour dimanche 29 mai 2001 11:33
[...] « Une génération toute entière à été mordue par la tarentule du besoin de justice. Il m’arrive parfois d’être invité par des groupes de jeunes qui me questionnent sur l’époque où nous avions le même âge qu’eux. Je parle d’un communisme quotidien, défendu dans toutes les luttes à coup de pieds et de feux, je raconte la vie d’une journée car telle était l’unité de mesure de notre façon de comprendre le mot communisme : non pas dans les patries étrangères qui exerçaient leur pouvoir en son nom, non pas dans le futur antérieur où nous pourrions y parvenir, mais dans le piétinement des jours, où l’orgueil était d’être meilleurs, non pas que le pouvoir constitué ni que nos pères étaient meilleurs que nous, ce que nous avions été le jour précédent, plus généreux, décidés, experts. Notre communisme ne visait pas à saisir les rênes de quelque diligence, il n’attendait pas de partir d’une prise de pouvoir, mais il se déroulait et se consumait dans la vague de nouveaux droits obtenus par besoin de justice et avec une méthode de choc frontal. Nous nous sommes très peu confrontés à l’hypothèse d’un pouvoir nous appartenant, nous avons toujours veillé à la nécessité d’une force à nous qui nous semblait utile et juste, alors que le pouvoir fort était suspect. Moi, je sais ce que j’ai fait à ce moment-là, le communisme que je pouvais. Et à la question de savoir si nous étions violents : je réponds oui. Je ne prétexte pas le temps et le lieu, le sang déjà versé et les injustices. Je réponds oui : que c’est à eux, ces jeunes, de chercher pour nous les pièces justificatives, s’ils le désirent. »
Oreste Scalzone, LA RÉVOLUTION ET L’ETAT, Insurrections et “contre-insurrection”
dans l’Italie de l’après-68 : la démocratie pénale, l’Etat d’urgence

###

Depuis le 15 mai, beaucoup de jeunes et aussi des moins jeunes, chômeurs et précaires pour la plupart, occupent en permanence la Puerta Del Sol à Madrid. Ils ont été presqu'aussitôt imités à Barcelone, Athènes, Paris et d'autres villes de France.

Pendant ce temps en Espagne, le PSOE au pouvoir a reçu une sanction électorale terrible aux élections municipales et régionales le dimanche 22 mai : 600 000 de ses électeurs se prononçaient pour le Parti populaire (droite) et 220 000 autres se portaient vers Izquierda Unida (la coalition de la gauche unie). Le PSOE a perdu les mairies de Barcelone (au profit des catalanistes), de Séville, de Saint-Jacques de Compostelle, de La Corogne, de Leon,  et presque toutes les régions qu'il dirigait : les Asturies, la Manche, l'Aragon, les Baléares, etc..Pour l'opposition de droite, c'est une victoire, mais une victoire par défaut : on a moins voté pour elle que contre le PSOE.

A Barcelone, la droite a gagné les élections dimanche dernier, quelques jours après (vendredi) elle envoyait la police nettoyer  la Place de la Catalunya des indignados qu'elle contenait encore : Dans la ville du Barça il fallait d'urgence rendre la place au tifosis et au business du foot.  Il était impensable d' hypothéquer le triomphe à domicile du club, opposé à Manchester en finale de la Ligue des Champions.

Pascal Holenweg , journaliste à La Tribune de Genève résume clairement la raison de ces mouvements contraires, en précisant "qu' elle ne vaut pas que pour les socialistes espagnols"   :

" ...  à quoi bon voter pour des socialistes s'ils mènent une politique plus droitière encore que celle du gouvernement de droite qui précédait le leur ? Quand le taux de chômage atteint 21 % (et même 45 % chez les jeunes), qu'aucune politique économique n'est proposée comme alternative à celle qui avait laissé la croissance se construire sur le tourisme et la spéculation immobilière, que la gauche institutionnelle n'offre aucune résistance à l'application des plans imposés par l'Europe et le FMI, non pas tant pour sortir l'Espagne de la crise que pour permettre à ses créanciers de toucher les intérêts de leurs prêts, un résultat comme celui que vient de subir le PSOE est logique. Logique, et mérité. Le bilan du gouvernement Zapatero, avant qu'il ne sombre dans l'atonie et la résignation à se transformer en exécutant docile des ukazes des grands argentiers européens et mondiaux, n'était pourtant pas insignifiant (moins cependant sur le terrain économique et social que sur le terrain culturel et sociétal : adoption du mariage homosexuel, libéralisation de l'avortement, rupture avec le silence officiel sur les crimes du franquisme...) -mais à un gouvernement socialiste, on est en droit de demander plus. On est surtout en droit de lui demander, d'abord, de se refuser à faire ce que le gouvernement socialiste espagnol a fait, pour complaire à ses « partenaires » internationaux : réduction de salaires, suppression de prestations et de protections sociales, éloignement de l'âge de la retraite... Résultat ? L'électorat de gauche a, quand il l'a pu, voté pour des formations d'opposition régionale à la politique nationale -et de ce point de vue la victoire de la coalition de la gauche nationaliste basque Bildu, que le gouvernement voulait interdire sur la suspicion de proximité avec ETA, alors qu'elle avait appelé ETA à renoncer définitivement à la lutte armée, est exemplaire. Bref, l'électorat espagnol a balancé un solide coup de pied au cul d'un PSOE incapable de choisir entre les Indignés de la Puerta del Sol et les indignités d'une cure d'austérité payée par celles et ceux qui sont déjà les victimes de la crise. Le PSOE a dès lors le choix : rejoindre  un mouvement de refus de l'injustice sociale (..avec quelle crédibilité ?), ou terminer le sale boulot d'une politique de droite que la droite, rigolarde, n'a même pas besoin d'assumer, puisque la gauche le fait à sa place et le fait payer à la base sociale de la gauche.  "
[  blog in La Tribune de Genève  ]


Jusqu'ici, ni la rue ni les urnes n'ont réussi à faire dévier Zapatero d'un millimètre : comme son collègue grec, comme Jospin en son temps, le chef du gouvernement "socialiste" a réaffirmé contre vents et marées qu’il poursuivrait sa politique d’austérité.


Toute la sympathie naturelle que nous éprouvons pour les manifestants espagnols ne saurait gommer la critique et les questions pressantes qui se posent au mouvement.

1- La référence au printemps arabe n'est pas si évidente, car elle est posée à Madrid et Paris dans un contexte différent des conditions plutôt âpres de la lutte contre les systèmes policiers totalitaires du Maghreb. Personne ne prétend que le peuple espagnol est complètement étouffé, comme il le fut sous le régime franquiste d'avant 1981... on admettra volontiers que le régime bourgeois est un régime de liberté surveillée, où la parole est libre... car elle ne compte pour rien.

Les manifestants de la Puerta Del Sol représentent un peu plus que les gens réunis en  permanence, leur activisme et leur essaimage heureux dans les quartiers de Madrid ne vont pas sans rappeler les prémices du Mai rampant italien à Rome, Naples... Ils ne sont néanmoins (encore), rejoints par des poignées de militant(e)s "internationalistas" qu’une avant-garde résolument  (?) pacifiste. Ici s'arrête la comparaison avec l' Italie des 70's. Tandis qu'en Tunisie, par exemple, les manifestants décidés à en découdre, parfois au péril de leurs vies, bénéficiaient du soutien ouvert de l'immense majorité du peuple.

2- "Mouvement citoyen indépendant et autogéré" le M-15 et ses épigones ont des idées généreuses et justes, socialement très avancées (cf annexe), c'est un printemps des idées pour une fraction de la jeunesse qui découvre tout, une fête de la fraternité retrouvée, un mouvement en ébullition, éperdument désireux d'une autre société, une efflorescence de slogans magnifiques, une école de la démocratie directe.
La plupart des propositions avancées par ces assemblées tracent le cadre d'une réforme très ambitieuse des institutions existantes pour davantage de transparence des décisions, etc.  Elles ne prônent donc pas la subversion pure et simple du régime parlementaire bourgeois au profit d'une forme différente et supérieure de démocratie. Elles réclament entre autres (toutes plate-formes confondues)  "Une réforme des conditions de travail de la classe politique" (sic) ou une "réduction des dépenses militaires"  accompagnée de "la fermeture des usines d'armement" ou encore, et c'est évidemment l'élément-clé, le plus intéressant, "la convocation d'une Assemblée Constituante".
Les droits à un revenu, un logement et un emploi digne figurent en bonne place, les revendications féministes sont réactualisées, des nationalisations ou la laïcité de l'éducation sont exigées, les grandes fortunes sont rabotées... encore que c'est assez cool finalement: on peut quand même continuer à amasser des fortunes à condition de raquer un peu plus. Dommage, Mélenchon lui, "au-dessus de 20.000 euros de revenus mensuels, il prend tout". Enfin le terme de socialisme, projet réputé propre à la gauche, n'est pas évoqué, même en passant. A croire qu'il a été totalement discrédité avant d'avoir vécu.

Le Parti de Gauche en France et d'autres ont néanmoins de bonnes raisons de frétiller, et certains de s'extasier sur le Manifeste de la Bastille, -Une V.F du M15 en un lieu où sont activement présent(e)s des militant(e)s de ce parti- : "Mais c'est notre programme, c'est formidable !"  Encore faudrait-il que le citoyen lambda, qui ne vit pas que de politique, et qui est formaté, ici comme là-bas, au mieux, par l'alternance et le bipartisme, ait une idée de ce que c'est qu'une Assemblée Constituante... Et puis, comment faire passer tous ces rêves de révolution sous les fourches caudines des institutions bourgeoises, autrement-dit par l' isoloir ? La "révolution par les urnes" à laquelle tiens tellement Mr Mélenchon n'est-elle  pas, au fond, une illusion plus désarmante encore ? Les indignés, si on veut bien les prendre au sérieux, nous permettent au moins de re-poser la question.

3- Le rejet fièrement affiché des organisations syndicales et politiques est compréhensible. Il est en effet illusoire de compter, en Espagne et ailleurs, sur les bureaucraties syndicales ou politiques généralement engluées dans la cogestion. Mais ce serait aussi un non-sens de camper sur cette position. Qu’on le veuille ou non, il est indispensable en France, comme en Espagne de s'adresser dès maintenant aux forces syndicales, et aux forces de la gauche de gauche et de l'extrême-gauche européenne, qui cristallisent chacune à leur manière, sur les lieux de travail ou dans le champ politique, les résistances concrètes à la domination du capital financier.


La meilleure chose qui puisse arriver au(x) mouvement(s) "15-M", et leur offrirait une porte de sortie honorable, serait peut-être leur internationalisation durable en une formation politique de masse d'un genre nouveau,  réellement démocratique (!) , coordonnée d'emblée à l'échelle européenne, internationaliste en actes,  capable de commencer à secouer le noeud coulant des systèmes partidaires et parlementaires nationaux et européens pour faire, enfin, bouger les lignes à gauche et ouvrir l'avenir.

Sans quoi les lendemains des manifestants des plazas déchanterons très vite. Il n'empêche que, comme l' a écrit un lecteur de Mediapart admiratif, " Les espagnols sont en train de donner une leçon au monde. En train d'inventer quelque chose d'inoui."
Bon, alors, occupons l'espace public, pique-niquons ensemble, discutons. Une trentaine de convives dont ma pomme participaient hier soir à la Fête des Voisins de ma résidence... On est 250 au bas-mot à y vivre. Il y avait un Monbazillac de derrière les fagots... Tant pis pour les autres !

Nous n'avons pas fini de nous asseoir toujours plus nombreux sur les places publiques pour partager et espérer... que celà ne fait que commencer...

JMB

[edit 29/05] Je découvre que le slogan repris en titre de ce billet a plu aussi à Clémentine Autain, et qu'elle en a fait le titre de sa chronique pour France-Culture.  Son regard sur l'actualité politique est toujours apprécié, parfois proche, et ici assez différent ^^.


A lire :
- "La jeunesse espagnole est capable de s'organiser seule, sans parti ni syndicat" , Interview de Jaime Pastor Verdú, politologue à l'université de Madrid, le Monde
- " Les 15-M à l'assaut des quartiers de Madrid " par Ludovic Lamant, Mediapart (article payant)
---

A Grenoble, les indignés se réunissent tous les soirs à partir de 19 heures Place Victor Hugo.

Liste de diffusion :
http://groups.google.com/group/grenoblerevolution-communication

Dernier article

Contre le business des réseaux sociaux privatifs et leurs nuisances

Quatre ans après la première édition de ce texte en avril 2013 (!) les réseaux sociaux privatifs ont tout bouffé (dans l'espace pub...