On ressentait un peu le besoin d' un contre-point à l'ouvrage féroce mais très morose (1) de Jean Salem chroniqué ici. A partir des mêmes prémisses, mais en sortant de la focalisation à outrance sur la farce électorale.
Dans " Le socialisme gourmand " Paul Ariès prolonge son essai précédent (2) sur un registre résolument positif, en actualisant des questions nées avec le mouvement ouvrier : Sortir du capitalisme, mais comment et pour aller où ?
Sortir du capitalisme.
La question du pourquoi est évacuée, parce que l’affaire est entendue (cf ouvrages précédents). Sous la domination universelle de ce système-monde prétendument indépassable, mais incapable de satisfaire aux besoins élémentaires de l'humanité, trop de menaces pèsent sur notre avenir et sur l'équilibre de la planète. Un système étayé sous nos latitudes par des institutions politiques exangues, cadres autoproclamés d’une citoyenneté illusoire et d'une démocratie au-dessus des classes.
Comment et pour aller où ?
" Le capitalisme donne à jouir ", écrit Ariès, " sinon il n'existerait plus depuis longtemps", mais c'est une jouissance doublée de frustration, littéralement imbibée, mortifiée d' angoisse existentielle. L'angoisse du manque-à-jouir. Une angoisse du vide (reprenant Luis de Miranda) puisque " le seul monde qu'il reconnaisse est abstrait, c'est celui de l'économie, de la valeur d'échange, de l'individu sans qualité (...) coupé de toute possibilité de vécu et de communication authentiques". C'est pourquoi il y a urgence à explorer et emprunter toutes les voies pratiques de l' émancipation, jouissives par elles-même, pour commencer à sortir vraiment de la sujétion, de la fuite en avant dans le consumérisme et le productivisme aveugles. Sans attendre des révolutions par le haut qui ne se produisent jamais. Et plus loin : "... le socialisme gourmand prend au sérieux l'idée que seul le désir est révolutionaire ".
Ce texte croise une longue série d' expériences sociales souvent oubliées (le mouvement coopératif, le socialisme municipal, le syndicalisme à bases multiples...), avec les développements de l'actualité et les expériences les plus stimulantes pour l'imaginaire collectif (révolutions arabes, slow-food, villes lentes, semis désobéissants, Amérique latine, projet Yasuni, Indignados, etc.).
Objecteur de croissance, écosocialiste, Ariès plaide sur la base du constat absolument indiscutable que le capitalisme "... n'a jamais été aussi peu confronté au défi théorique et pratique d'une puissante antithèse " ; et avec la conviction que " la crise écologique n'invalide pas le socialisme, mais le rend encore plus nécessaire".
Il plaide pour un renouveau de la créativité populaire, seule à même désormais de réanimer ou de recréer, selon lui, un désir de socialisme.
Il le fait en évitant d' emboucher les trompettes des tenants de l'effacement, de la décomposition sociale et politique du prolétariat. Celui-ci doit demeurer au contraire sur tous les continents, mais dans ses spécificités culturelles et à nouveaux frais, l'acteur décisif d'un véritable changement social.
La grande question devient alors plutôt : comment donner à une majorité envie de changer la vie ? L'idée, en résûmé, est de tout faire pour rendre forme, couleurs, goût et saveurs aux idéaux du socialisme, à la fois dans l' ordre idéologique et en les illustrant par la pratique, par la réappropriation des mots comme par le développement d'expériences sociales en tous genres; et de changer ainsi en marchant les pratiques politiques des gauches. Ariès appelle de ses voeux la (re)naissance d'une gauche debout, buissonnière, sécessionniste, désireuse de vivre ses rêves de manière éveillée en les amenant à la réalité.
A ses yeux, en un mot, tout fait la maille.
Sécession, exode, socialisme sécessionniste, ces expressions récurentes dans le livre ne sont donc pas du tout à prendre au sens de fuir complètement la réalité, mais au contraire de la subvertir en mode autochtone, au sens de faire contre-société.
L'auteur affiche sa sympathie pour les conceptions "possibilistes" mesurées d'un Paul Brousse (1844-1912), et d'autres courants socialistes antiques de la même veine, comme les fabiens. Tous étaient les apôtres du socialisme municipal, d' un socialisme des petits pas, et à ce titre, opposés aux adeptes jacobins de la rupture "par en haut". Mais de quoi ont-ils sombré dans l'oubli, si ce n'est avant tout peut-être de leurs propres erreurs, ou de leurs propres faiblesses, à force de "réalisme" et d'autolimitation stratégique ?
Autre sujet à débat, le marxisme, -longtemps préempté, dévoyé et finalement fossilisé par les staliniens il est vrai, et qu'on devrait toujours écrire au pluriel- est dépeint un peu systématiquement sous les traits d'une doxa figée. Or, l'histoire le montre, l'influence d'une théorie ou le poids d'un système sur le niveau d'inventivité et d' innovation sociale sont le plus souvent marginaux. Dans le domaine de la théorie pure, qui éclaire plus qu'elle n'inspire, on note en revanche un retour en grace du marxisme sur ses fondamentaux, et au-delà, l'ouverture profonde de ce courant de pensée, qui se manifeste par l'apparition non marginale d' un écomarxisme tournant explicitement le dos au productivisme (Zizek, Stiegler, Bensaïd, Löwy, Joel Kovel, etc).
Ceci posé, on fera bien volontiers crédit à l'auteur, étant donné l'état général de faiblesse dans lequel se trouvent les gauches antilibérales et anticapitalistes aujourd'hui : Elles gagneront plus qu'elle n'y perdront à lire Ariès, tant ce livre respire de ce dont elles manquent le plus : une joie de vivre inaltérable, un désir communicatif de se battre pour un autre monde possible.
(1) En résumé : les politiques nous enfument, les medias nous saoulent, et la democratie est morte.
(2) "La simplicité volontaire contre le mythe de l'abondance" Ed. La Découverte/poche
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A propos de la " règle verte " et de la publicité
J'ai lu sous votre signature dans le Sarkophage en ligne un article intitulé La « Règle verte » du Front de gauche : une bonne nouvelle pour l’humanité.
Vous y creusez une proposition énoncée pour la première fois par Jean-Luc Mélenchon à Clermont-Ferrand, dans un meeting de campagne du FdG.
Bien sûr, comme on peut encore y mettre (presque) tout ce qu'on veut, il ne faut pas s'en priver. Vous reprenez principalement les revendications des associations anti-pub, qui réclament un encadrement beaucoup plus sévère de la publicité.
On y relève entre autres, un calcul (à préciser) des seuils admissibles au kilomètre carré en fonction de la densité de population, ou la définition de périmètres vierges autour des écoles, ou encore la réduction de la taille des panneaux et sucettes publicitaires omniprésents dans notre environnement. (cf extrait ci-dessous).
Une nouvelle discipline est née, la densitométrie du seuil de nuisance publicitaire toléré, il fallait y penser ! Cette proposition curieuse ne va pas sans rappeler qu'il existe moult autres seuils de pollution, scientifiquement mesurables eux, et franchement léthaux pour la plupart au-delà d'un certain taux de concentration, ou de dissémination.
Comme ce n'est pas le cas ici, doit-on alors considérer ces mesures comme une déclinaison pratique de la pédagogie des petits pas défendue dans "Le socialisme gourmand" ? Quand sera-ce le bon moment de frapper un grand coup ?
Sauf à admettre avec l'adversaire que la pub est un moteur indispensable de l'économie, pourquoi ne pas plutôt profiter de l'occasion pour avancer comme minima, l'abolition pure et simple de toute forme de publicité commerciale dans l'espace public en France ?
Entre les supports papier, radio et télés, les sites d'e-commerce et les galeries marchandes, etc... il reste aux agences de pub une marge " d'expression" (sic) excessive dans les circuits privés. L'espace public est notre affaire, il faut le protéger des empiètements du privé, il faut le reconquérir.
Il s'agit moins de contenir que de faire reculer cette nuisance pour l'humanité et pour la planète, avant que de la faire disparaître aussi sûrement que se développera l' économie frugale, raisonnée, décroissante, que nous appelons de nos voeux. Je comprends donc d'autant moins cette modération revendicative que vous écrivez par ailleurs dans un texte saumoné, déjà cité : " les gens sont moins idiots qu'angoissés..." Je le crois aussi.
Alors, allons-y franchement, et en avant pour un sevrage rapide, sans effets délétères ! Qu'en pensez-vous ?
Extrait :
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1) Réduction drastique de l’agression publicitaire et marketing en faisant primer le droit des consommateurs et des usagers à être protégé sur celui des marchands. Est-il normal que 40 % des dispositifs publicitaires actuels soient illégaux ? La cause en est bien connue : le laxisme des autorités et le flou des textes. Notre réforme reprendra les revendications avancées par les associations : suppression de la publicité au cinéma ; maintien de l’interdiction de la publicité ,sur les chaînes publiques ; interdiction de la publicité pendant les tranches ciblant les moins de 12 ans, interdiction de toute publicité dans les établissements ,scolaires, ainsi que dans un périmètre de 200 mètres ; Interdiction des panneaux publicitaires dépassant la taille 50 X 70 cm, avec un nombre maximal autorisé par km2 selon la densité du quartier ou de la ville, interdiction des kits pédagogiques publicitaires, extinction des lumières des magasins lors de leurs horaires de fermeture, interdiction des contrats conditionnant des services aux collectivités à de la publicité (vélos-libre service par exemple).
(...)