Michaël Moglia, Président de la commission des finances du conseil régional Nord-Pas-de-Calais.
Cher camarade,
cher Harlem,
cher Harlem,
Dans la
nuit du 6 au 7 mai dernier, tu étais aux côtés de François Hollande sur
l’immense scène installée place de la Bastille. Cette nuit-là, tu as
senti l’espérance d’un peuple de gauche venu défier les appels presque
unanimes à la résignation. Tu as vu ces dizaines de milliers de
Françaises et de Français dont l’enthousiasme était une demande : celle
que les Socialistes, revenus au pouvoir, parviennent enfin à changer la
vie.
Je
n’étais pas avec vous à Paris. J’ai fêté la victoire auprès de mes
camarades dans le Nord. Mais déjà, cher Harlem, je n’y croyais plus
beaucoup… Est-ce parce que nous avions déjà trop souvent déçu les nôtres
? Me doutais-je que nous nous apprêtions à le faire de nouveau,
peut-être plus rapidement et plus brutalement que jamais ?
Je suis
entré au PS à l’âge de 17 ans. La figure tutélaire de François
Mitterrand, le poing et la rose, le combat contre les forces de
l’argent, les 110 propositions : jeune militant, je revendiquais
fièrement cet héritage.
Même
lorsqu’il s’est éloigné de ses valeurs, j’ai continué de croire mon
Parti capable de rénovation. Grâce à notre démocratie interne, la prise
en compte des différentes sensibilités, l’écoute mutuelle, la
camaraderie (notion aujourd’hui disparue), il me semblait possible
d’ancrer à gauche notre ligne politique.
J’ai la
tristesse mais enfin la lucidité, après vingt-trois années de
militantisme, dont neuf au sein de la direction nationale du PS, de
constater que je me suis trompé. Désormais je comprends à quel point les
dirigeants du Parti Socialiste s’accommodent cyniquement d’avoir une
aile gauche pesant en moyenne 15% lors des scrutins internes. Des
personnalités telles qu’Henri Emmanuelli et Benoît Hamon autrefois, ou
telles qu’Emmanuel Maurel aujourd’hui, ont simplement permis de
maintenir, en façade tout au moins, l’image d’un vrai parti de gauche.
Tel est le rôle d’Arnaud Montebourg au Gouvernement ; tel a été mon rôle
dans le Nord. À un parti en pleine dérive idéologique, il fallait ses «
idiots utiles ».
Depuis
mai, sous le regard d’une Bastille incrédule, qui avait tant besoin de
retrouver la foi dans le progrès social, François Hollande et le
Gouvernement n’ont fait que reculer… sous les applaudissements de
l’appareil socialiste.
Te souviens-tu seulement du projet que nous avons porté ensemble ?
Dès 2010,
Benoit Hamon voulait substituer au mythe gentillet et creux de «
l’égalité des chances » un retour à l’objectif historique de la gauche :
l’égalité réelle entre tous les citoyens. Pour ce faire, il proposait
une batterie de mesures sociales et sociétales ambitieuses.
Bien
qu’ayant refusé d’adhérer à ce catalogue de mesure lorsqu’il était
candidat aux primaires, François Hollande en avait finalement reprises
plusieurs dans son programme présidentiel : le système d’attestations
lors des contrôles d’identité, souvent vécus comme discriminatoires,
l’encadrement strict des dépassements d’honoraires des médecins, le
droit de vote aux étrangers pour les élections locales, la limitation
des écarts de salaire de 1 à 20 dans les entreprises publiques. Sur
chacun de ces sujets, le Gouvernement de Jean-Marc Ayrault a soit
renoncé purement et simplement, soit reporté les réformes sine die, soit affadi leur contenu jusqu’à les rendre inutiles.
La liste
des reculades, des incohérences et des échecs ne s’arrête
malheureusement pas là. Le Gouvernement a renoncé à exiger le non-cumul
des mandats dès 2012, malgré les engagements pris et signés par
l’ensemble des parlementaires socialistes. La loi sur le logement social
a été retoquée par le Conseil Constitutionnel pour vice de procédure.
On a laissé entendre aux Maires qu’ils seront libres de ne pas appliquer
la loi sur le mariage pour tous. La TVA Sarkozy, dite « sociale »,
décriée à juste titre pendant la campagne électorale, est revenue sous
une autre forme à l’occasion de la remise du rapport Gallois. Enfin, on
devine que le projet — pourtant central dans le programme de François
Hollande — d’une « grande réforme fiscale » ne sera probablement jamais
mis en œuvre pendant le quinquennat.
Certains
choix semblent traduire le reniement de nos convictions les plus
profondes. Malgré le courage et l’obstination de la Ministre Aurélie
Filipetti, le Gouvernement a choisi de diminuer le budget de la culture.
Ce serait grave en temps normal ; c’est catastrophique en temps de
crise, car je reste persuadé que l’Art est le premier outil de combat —
ou d’évasion — lorsque tout va mal.
La seule
ligne directrice du Gouvernement porte un nom : l’austérité. Elle porte
aussi un chiffre, comme une prison intellectuelle : 3%.
La droite
n’a jamais tant aimé le PS ; Manuel Valls est plus que jamais sa
coqueluche. Elle qui craignait tant François Hollande avant son
accession au pouvoir, finirait presque par le trouver exemplaire de
courage et de modernité !
Si nous
en sommes là aujourd’hui, c’est par l’enchaînement d’une série de fautes
que vous avez commises, main dans la main avec la droite, au sujet de
l’Union Européenne. Vous n’avez tiré aucun enseignement de la large
victoire du non au traité constitutionnel européen de 2005. Pour moi, ce
décalage entre les dirigeants et la base électorale du Parti a été un
premier motif d’interrogation et d’embarras.
Le second
a été la promesse faite par François Hollande de renégocier le traité
Merkel-Sarkozy. Et quelle renégociation ce fut ! Le Président de la
République a trouvé le prétexte d’un « pacte de croissance » indolore et
inopérant pour se rallier — ni vu ni connu, pensait-il sûrement — à la «
règle d’or ».
En
réalité, dans l’Europe que vous êtes en train de construire, ou dont
vous acceptez passivement les règles du jeu, les Etats n’ont pas et
n’auront bientôt plus aucune marge de manœuvre.
Les
politiques européennes pèsent sur le budget de l’Etat. Et puisque les
collectivités territoriales, privées de leur autonomie fiscale, vivent
essentiellement de dotations de l’Etat, elles doivent désormais rogner
sur leurs politiques, y compris lorsqu’elles relèvent de l’urgence. Dans
les Départements, c’est la santé et le social qui sont touchés. Dans
les Régions, c’est l’emploi, la formation.
Voilà
pourquoi, Président de la Commission des Finances du Conseil Régional
Nord-Pas de Calais, je ne peux pas cautionner la poursuite annoncée des
baisses de dotations d’Etat aux collectivités, après l’avoir dénoncée
sans relâche pendant les cinq années de mandat de Nicolas Sarkozy.
Ayant
renoncé à transformer l’économie, les Socialistes pourraient encore se
distinguer des libéraux et des conservateurs en s’intéressant à cette «
France invisible » — celle que personne ne veut plus voir.
Cela a
été dit et répété : le PS a oublié les ouvriers. Mais pas seulement eux.
Au fond, vous partagez le diagnostic de Laurent Wauquiez : un parti de
gouvernement doit s’adresser aux « classes moyennes » (car au moins
elles votent). Les chômeurs, les précaires, les toxicos, les taulards,
les prostitués, les paysans, les mères célibataires, les surendettés,
les malades, les psychotiques, les handicapés, les sans-abris : les
exclus de tous poils et les onze millions de pauvres qui vivent en
France ne comptent pas, ou si peu.
Il faut
d’urgence prendre des mesures fortes et symboliques. En 1981, ce furent
les 39 heures, la retraite à 60 ans, la cinquième semaine de congés
payés, l’abolition de la peine de mort, l’autorisation des radios
libres… Que propose le PS aujourd’hui ? Le droit au mariage pour les
couples homosexuels, pudiquement rebaptisé « mariage pour tous », est un
pas dans le bon sens. Mais cette mesure seule ne suffira pas à apporter
à la France la bouffée d’oxygène dont elle a tant besoin !
De deux
choses l’une. Soit il n’y a qu’une seule politique à mener, que l’on
soit de gauche ou de droite, et dans ce cas le PS s’est moqué des
Français pendant dix années d’opposition, plus particulièrement pendant
une campagne électorale toute entière axée autour de la promesse du
changement (« maintenant ! »).
Ou alors
une autre politique est possible, et dans ce cas qu’attendez-vous pour
changer de stratégie ? Pour engager un réel dialogue avec les
partenaires de gauche et retrouver le « talisman » de l’union, auquel
François Mitterrand n’avait jamais renoncé ? Oserez-vous faire ce choix,
ou bien donnerez-vous raison à ceux qui ont vu dans la discrète
réception d’élus Modem à l’Elysée, il y a quelques jours, l’amorce d’un
renversement d’alliance avec le centre-droit ?
J’ai le
regret, cher Harlem, de quitter aujourd’hui le Parti Socialiste. Je le
fais avec une grande tristesse mais aussi, en optimiste obstiné, avec
l’espoir que vous retrouverez un jour la voie de la raison et le courage
d’être de gauche.
M.M
Liens :