jeudi 7 février 2013

Hollande l'africain et la gauche critique


"La barbarie au sens absolu consiste à ne pas reconnaître l'humanité des autres, alors que son contraire, la civilisation, est précisément cette capacité de voir les autres comme autres, et pourtant d'admettre en même temps qu'ils sont aussi humains que nous."
Tzvetan Todorov. La peur des barbares.

Oui les amis, elle sont impressionnantes et émouvantes ces scènes de liesse populaire, (non feinte) ces images de foules africaines exhubérantes. Et comment rester froid au spectacle des débordements de gratitude populaire (spontanés) reçus par notre président normal lorsqu'il a été accueilli en libérateur à Bamako ?

Quoi de plus honorable et de plus louable pour nos braves, dûment biberonnés aux principes laïcs et Républicains, que de mettre en déroute des bandes armées qui régentaient une population amie en exerçant sur elle une violence inouïe ?

Des "combattants d'Allah" qui exécutaient des gens sommairement, fermaient des écoles et imposaient la burqua, interdisaient la musique et réprimaient les musiciens, et s'attaquaient aussi bien à des bibliothèques qu'aux joyaux  historiques d'un islam africain impie à leurs yeux. Bref, des occupants qui s'employaient à effacer du paysage tout ce qui ne cadrait pas avec leurs pauvres rudiments religieux dévoyés, tout celà au détriment de l' un des peuples les plus pauvres du monde.
Eh bien, nous dit plus haut le philosophe, ces individus sanguinaires qui violent impunément, tranchent des mains, vous administrent la chicotte pour un simple retard à la prière, et que l'on peut sans l'ombre d'un doute qualifier de barbares de la pire espèce, nous nous devons de les hisser, nous gens civilisés, au même rang de dignité que nous... sous peine de commencer à leur ressembler... Une idée toujours bonne à méditer. En permanence.


Le premier des Français dans l'ordre protocolaire, homme modéré d'origine catholique, d'engagement laïque, poli avec les dames, pratiquant l'union libre et favorable à l'instauration du mariage homosexuel, a décroché une timbale, l'occasion idéale d'endosser une défroque de justicier un peu grande pour lui, mais néanmoins crédible, puisque l'opinion et les grands de ce monde n'y trouvent rien à redire. Presque rien.

Sous l'oeil amouraché du grand frère américain, Hollande peut se permettre de déclarer à la manière d'un Bush, d' un Poutine, qu'il faudra si on les retrouve "détruire"  ces terroristes... et (après un temps) "les faire prisonniers si possible". Sans déclencher la moindre agitation à la sortie de la prière du vendredi, de Paris à Islamabad. C'est dire combien cette France métissée est un pays civil et bien tenu.

Le tout premier des problèmes posés par l' intervention réside dans la faculté qu'ont les chefs d'Etat de déguiser officiellement la vérité, ou d' en évacuer les parties honteuses en s'abritant derrière le secret Défense et le devoir de réserve des grands commis de l'Etat. Car toutes les guerres -sauf les guerres de conquête et d'extermination- ne font que réagencer du fort au faible sans les résoudre des conflits territoriaux, des conflits d'intérêts.

Pour réunir en une seule des formules (1) qui font florès à gauche en ce moment, -tant leur crédibilité est historiquement étayée- en temps de guerre le mensonge est partout chez lui.

Lorsqu' il y a six mois, Hollande et Fabius déclaraient que la France n'interviendrait jamais au Mali, ils mentaient déjà. Sans doute pour jouer de l'effet de surprise face à l' ennemi.

Lorsque dès les premiers jours de l'opération, Hollande chef de guerre déclarait que " la France n'avait aucun intérêt au Mali [et] ne défendait aucun calcul économique ou politique" il mentait encore.

Les propos du numéro deux du Pentagone, Mr Ashton Carter, démentent sans complexe ceux du président français : " Il n’y a aucune hésitation de notre côté pour savoir s’il fallait aider cette opération française. Nous sommes reconnaissants à la France de l’avoir entreprise et nous savons qu’il s’agissait d’une opération qui servait nos intérêts mutuels". (2)

Si la France et d'autres pays riches n'ont effectivement que des investissements assez négligeables à défendre au Mali sur le plan économique, il n'en est pas de même à l'échelle saharienne, dont le glacis de frontières tracées par le colonisateur n'a pas grand sens sur le terrain.

Le président Nigérien Issoufou admettait sans donner de détails, dimanche 3 février 2013,  que quelques forces spéciales françaises (des militaires) étaient  déjà présentes pour renforcer dans son pays la sécurité des sites miniers exploités par le groupe nucléaire français Areva. On sait que ceux-ci assurent déjà un tiers des approvisionnements de notre parc nucléaire. Le site d'Imouraren au Nord du Niger, " devrait à terme représenter la plus importante mine d’uranium à ciel ouvert d’Afrique et la deuxième au monde " selon Areva (3).


Au vu de ses déclarations tout au long de sa campagne électorale, il y a de sérieuses raisons de penser que le principe d' une intervention militaire française au Mali a été arrêté ou avalisé par François Hollande très peu de temps après sa prise de fonctions. Les négociations panafricaines s'enlisaient lamentablement.
Il était inconcevable pour les autorités françaises de tolérer plus longtemps un sanctuaire jihadiste de mieux en mieux armé et de plus en plus étendu, et bientôt en mesure de menacer les sites d'extraction de pétrole et d’uranium des pays voisins. La sanglante action d'éclat menée à Al Amenas dans le Sud algérien l'a amplement démontré.

On peut admettre que l'offensive jihadiste ait pu prendre de cours la CDAO et divers services secrets étrangers présents sur zone, mais ce qui est sûr, c'est que la progression d'une menace jusqu'ici  "confinée" aux étendues désertiques du Nord du Mali était à craindre dès la chute de Khadafi en Lybie. L'écrasement de son régime sous les bombes de l'OTAN (dont des bombes françaises) a offert les meilleures conditions aux groupes armés préexistants pour recruter tout un tas d'anciens mercenaires rendus libres de leurs engagements, et pour renflouer facilement leurs stocks d'armes.

En janvier, seule la France était en capacité d' intervenir. C'était celà ou assister les bras croisés à un remake de Mogadiscio à Bamako. La "gauche de rechange" aura bientôt tout loisir d'examiner à la loupe l'évolution de la situation politique et sociale au Mali et dans la région, et les premières retombées concrètes de l' opération Serval, et d'en tirer les leçons. Elle aurait tort de s'en priver.

Isolés dans l'opinion et bannis des médias, ce sont les opposants par principe (pacifistes et extrême-gauche) qui font le plus les frais d'une propagande gouvernementale allongée sur l'édredon du consensus.

Au surplus, les incantations d'une partie de l' extrême-gauche (LO,NPA,PCOF) sur le sujet ne sont pas convaincantes du tout. Des abstractions de quintessence, des caricatures de communiqués écrits par des rédacteurs à visières surbaissée qui n'hésitent pas à nier l'existence des bandes armées !! (cf leurs premiers communiqués sur leurs sites respectifs) Le résultat est que leurs voix nécessaires, mais déjà passablement inaudibles, n'ont aucun écho.

Le malaise est perceptible aussi, différemment, dans le Front de Gauche.
Celui-ci est bel et bien partagé entre pro et anti-guerre, dans de bien moindres proportions que l'opinion, pour le dire vite, quoiqu'il soit difficile de le mesurer.
L' un de ses élus, François Asensi,  à justifié l'intervention le 17 janvier au nom de son groupe au Parlement, en émettant des réserves décentes ( à nos yeux) "sur sa forme, ses conditions, et ses objectifs". Lisez sa déclaration. Il y est question en passant du "deuil inachevé de la Françafrique"...

Un deuil ? vraiment ? On y revient plus bas.

Reprises par la voix de son porte-parole le plus médiatique, qu'on a connu plus prolixe, le moins qu'on puisse dire est que l'insistance est mise sur les formes plus que sur les objectifs, et la critique se colore d'une dose certaine de social-patriotisme.

Dans sa toute première réaction en date, J-L Mélenchon s'est contenté de juger l'intervention "discutable".  Dans le billet suivant, il disserte surtout sur la légitimité internationale de l'opération, dont nul ne conteste qu'elle est douteuse, et insiste beaucoup sur les surcoûts budgétaires qu'elle entraîne, grevant un peu plus le budget national, et donc les poches des salariés. Nul ne conteste que la guerre est coûteuse. (Les sommes englouties en un mois s'élèvent déjà au double de l’aide annuelle accordée au Mali).

Mais est-ce réellement le fond du problème ? La guerre est aussi une industrie. Elle n'est donc pas une si mauvaise opération pour tout le monde. L' Inde n'a-t-elle pas annoncé à la mi-janvier, après le début de l'intervention au Mali, qu'elle envisageait d'acheter 189 Rafales à l'avionneur français Dassaut, soit 63 appareils de plus que prévus au contrat passé en janvier 2012...
Ce qui porte le total à la somme rondelette de 18 milliards d'Euros, à rapporter aux quelques centaines de millions que va coûter l'opération. Et l'on se souvient que ce contrat avec l'Inde fut "salué" à l'époque par le candidat Front de Gauche en campagne, un certain Mélenchon Jean-Luc...

Le FdG évite donc, pour l'heure, de s'intéresser de près au système Françafrique tel qu' il est actionné par les 'socialistes'. Cette appellation est taboue dans leur bouche. La gauche de rechange serait bien inspirée, elle, de l'adopter vraiment, pour la clarté, sauf à nier les preuves accablantes de son existence !

Car pointer un déni de démocratie, discuter de la légitimité internationale ou du coût de l'intervention est une chose, dénoncer ce meccano politico-financier mis en place sous de Gaulle, et perpétué par ces 'ni camarades ni adversaires' (?) en est une autre.

Beaucoup dans ses rangs souhaitent un large débat, il semble pourtant avoir un peu de mal à s'ouvrir. C'est le temps des congrès, attendons...

Depuis Dubaï le 15 janvier 2013, Hollande en résumant les buts de l’intervention déclarait  : « Nous avons un objectif, c’est de faire en sorte que lorsque nous partirons, lorsque nous cesserons notre intervention, il y ait une sécurité au Mali, des autorités légitimes, un processus électoral et qu’il n’y ait plus de terroristes qui menacent l’intégrité du Mali ».

Or, le maintien des bases militaires françaises en Afrique, et le resserrement des liens de coopération militaire avec les Etats-Unis dans cette partie du monde, laissent peu de raisons d'espérer en la reprise d'un processus démocratique sain (Sans aborder ici la reconnaissance internationale du droit à l'autodétermination des Sahraoui, des Touareg, etc, qui justifie à elle seule un tout autre billet... ).
Seul le démantèlement de ses bases militaires manifesterait de la part de la France une volonté ferme de ne plus chercher à s'ingérer par l'emploi de la force dans les affaires intérieures de ses anciennes colonies. L'appui militaire fourni dernièrement à l'un des deux camps qui se disputaient le pouvoir à coups de flingues en Côte d' Ivoire (4), à la suite de l'élection présidentielle de 2010 n'est-il pas au minimum discutable, pour reprendre l'expression de Jean-Luc Mélenchon ?


Le système Françafrique est archi-gaulliste de naissance (1958). Il se basait à l'origine sur un réseau d'influence opaque mis en place par Jacques Foccard, à l'entière discrétion de l'Elysée qui gérait hors de tout contrôle démocratique l'ensemble des affaires touchant à l' ancien empire colonial. De Gaulle en a toujours gardé la nostalgie. Ce système a tourné à plein régime sous Pompidou, Giscard et Miterrand; et il est toujours en place, même si, selon les spécialistes, il n'est plus aussi omnipotent qu'hier. Les hommes passent....d'autres les remplacent. Son histoire est une longue suite de coup fourrés, d'opérations musclées et de scandales d'Etat dont certains ont été retentissants (affaire Elf, affaire des ventes d'armes à l'Angola...) mais bien d'autres ont été étouffés (génocide au Rwanda...).

Selon l'Association Survie, "Serval" serait la cinquante-troisième opération mobilisant des hommes sur le terrain depuis les indépendances (!)

Pour quels résultats au bout du compte ?

Ce système continue de faire et de défaire des régimes, ou de soutenir des dictatures parmi les plus anciennes et crapuleuses au  monde (telle celle de Bongo père et fils au Gabon). Les critiques au tiroir-caisse, l'exploration des méandres du droit onusien, ne sont donc pas tout-à-fait à la hauteur de la tache qui incombe à une gauche critique, qui voudrait s'imposer comme une véritable alternative à ce système auquel la droite et les socialistes n'entendent pas toucher. Il faudra bien un jour instruire son procès méthodiquement, sans incantations, mais sans faux-fuyants, et en finir avec lui.

Pour celà cette gauche de rechange doit donc clairement affirmer ses intentions de "bouleverser la donne" dans les relations que nous entretenons avec les peuples du continent Africain. Elle doit militer inlassablement pour l' abolition de la dette, pour des échanges équitables, contre le pillage de leurs ressources par les pays industrialisés et notamment l'exploitation effrénée des dernières forêts primaires, elle doit commencer par faire cesser tout soutien, direct ou indirect, à des dictatures ou des dirigeants corrompus, et abolir une monnaie (franc CFA) qui maintient en état de sujétion les pays situés dans cette zone économique.

C'est à ce prix qu'elle aura quelques chances de se hisser vraiment à la hauteur des luttes qu'elle prétend incarner : pour une alternative globale aux politiques néolibérales qui saignent l'Afrique et la tiennent à genoux. On en est encore loin.
J-M.B

Références : La Françafrique, le plus long scandale de la république, de François-Xavier Verschave, Président de Survie de 1995 à 2000.  On trouvera une transcription de ses conférences-débat ici.

"Pour une nouvelle politique entre la France et l'Afrique, les propositions du Front de Gauche" :
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***

(1) " On ne ment jamais autant que pendant la guerre et avant les élections "  (Georges Clémenceau).  " La première victime d'une guerre c'est la vérité " (Hiram Warren Johnson).
(2) lesafriques.com
(3) JDD
a première victime d'une guerre, c'est la vérité
(4)  Ouattara, l'un des deux prétendants à la présidence en Côte-d'Ivoire, a été proclamé vainqueur par l'ONU, qui trouve parfois les moyens de faire appliquer ses résolutions. La France intervenait sous son mandat. Aujourd'hui il dirige également la CEDEAO. Gbagbo, l' adversaire 'socialiste' malchanceux, fut soutenu jusqu'au bout par Maître Vergès et par l'ex-ministre des Affaires Etrangères de Mitterrand, Roland Dumas (!). Aujourd'hui il croupit en taule en attendant sa comparution devant le Tribunal Pénal International de la Haye. 

Sites à consulter:
Survie
Afriques en Lutte
 
Blogs:
Sous le casque un cerveau, par François Delapierre, 21 janvier 2013.
A quoi ça sert la guerre ?, par Alain Bousquet, 5 février 2013.



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