vendredi 4 mai 2012

Premières leçons, par Janette HABEL

[ Ce texte tire des leçons du premier tour - ndlr ]
Pour la première fois dans l’histoire de la V° République le président sortant n’est pas arrivé en tête au premier tour.

Avec 28,6 % des suffrages F. Hollande devance N. Sarkozy crédité de 27,06 % des voix. La volonté de sanctionner une politique désastreuse et le rejet du président sortant expliquent ce résultat. Le candidat du PS avait insisté sur l’importance du 1° tour, le « vote utile » qu’il avait sollicité lui a été accordé.

Quant au candidat du Front de Gauche (FG) Jean-Luc Mélenchon, il a été selon l’expression consacrée par la presse la « véritable révélation de cette campagne », il a réussi à faire revivre la gauche radicale éteinte depuis l’échec terrible de 2005. Des dizaines de milliers de manifestants se sont retrouvés lors d’immenses rassemblements et manifestations populaires, plus importants que tous ceux convoqués par les autres candidats. Plus significatif encore, il l’a fait sur la base d’un programme sans concessions, mettant en avant des revendications sociales immédiates,  des propositions politiques et institutionnelles, une solidarité internationaliste, un combat intransigeant contre la xénophobie et le FN alors même que certains médias dits de gauche ont cherché à le discréditer. Son score, plus de 11%, le place en 4° position avant Bayrou, loin devant Eva Joly. C’est un évènement majeur de cette campagne présidentielle. Aux militants déçus, du fait des sondages qui laissaient espérer un score national de 14 à 15%, rappelons que le candidat du FG était crédité en début de campagne de 4% des voix, il a  donc multiplié son score initial par trois et celui de Marie-George Buffet par six comme elle-même l’a rappelé.
Les résultats du Front de Gauche dans les grandes villes de province oscillent entre 11.09% à Paris et 15.4% à Lille, 11.8% à Lyon, 13.8% à Marseille, 15.9% à Toulouse, 13.4% à Rennes, 13.9% à Rouen, 15.4% à Grenoble, 16.5% au Havre, 12.1% à Bordeaux, 13.2% à St Etienne, 12% à Nancy etc.

La reconstruction d'une gauche de gauche ne fait que commencer.

Nous revenons en effet de loin, et il faudra un jour prendre le temps d'une analyse d'ensemble de la période. Entre 1983 et 2002, le PS a basculé vers le social-libéralisme, le gouvernement de la Gauche plurielle a privatisé plus que ses prédécesseurs, l’expérience soviétique est passée devant le tribunal de l’histoire, la construction européenne est devenue une arme de destruction massive des acquis sociaux...

Aujourd'hui, l’extrême droite monte en Europe. La France n’est pas épargnée. Les premiers succès du Front de Gauche ne sauraient en effet faire oublier le score - 17,9% - obtenu par Marine Le Pen. Ce vote traduit lui aussi à sa manière la volonté de se débarrasser de Sarkozy, mais c’est sur la base d’un discours néofasciste débarrassé des anciens oripeaux de l’extrême droite française, remplacés par l’islamophobie de la nouvelle extrême droite européenne. En dépit de la remarquable campagne du candidat du FG et du combat permanent qu’il a mené quasiment seul contre le Front National, Jean-Luc Mélenchon n’a pas pu reléguer la candidate du FN en queue de peloton. Il y a à cela plusieurs explications qui sont importantes pour l’avenir. La crise de la représentation politique symbolisée par la dénonciation par Marine Le Pen de « l’UMPS » est profonde. Les déceptions provoquées par l’expérience de l’Union de la gauche d’abord, par celle de la Gauche plurielle ensuite, les ravages de la construction européenne telle  qu’elle est conduite depuis des années, la gravité de la crise financière, les ambigüités et le flou du programme de F. Hollande décrédibilisent les propositions de la gauche auprès de certaines couches populaires.

La crise du capitalisme a été escamotée par F. Hollande. Au mieux nous aurons moins de République bananière. Mais le candidat du PS ne dérogera pas à son orientation social-libérale, ce qui risque d’alimenter encore davantage la dérive lepéniste.

Rappelons cet avertissement prémonitoire de Pierre Bourdieu, à la fin des années 1980 : " Ce pur produit de l'ENA qu'est François Hollande se faisant élire à Tulle, c'est la fin de tout ! ça veut dire le Front national à 20% dans dix ans. " (1)

Il faut tout faire pour battre Sarkozy. N’épargnons aucun effort pour assurer la victoire de F. Hollande. Mais soyons lucides. Le gouvernement de F. Hollande s’il est élu ne remettra pas en cause le socle des politiques d’austérité, il ne changera pas la construction néolibérale de l’UE et ne soumettra pas le nouveau traité européen à un référendum. Seul un Front de Gauche indépendant proposant une politique alternative et participant aux combats contre l’austérité pourra empêcher que les déçus de la politique de Hollande rejoignent le Front National. Rien ne serait plus néfaste que de laisser planer l’ambigüité sur une quelconque accointance avec cette majorité présidentielle. Voter les rares mesures progressistes est une chose, approuver le budget d’un tel gouvernement en serait une autre.

Après le 2° tour l’urgence sera donc de continuer à renforcer les mobilisations sociales. Construire le FG comme une alternative politique et démocratique, donner une perspective à des luttes populaires qui en manquent cruellement, montrer que la gauche a tiré les leçons du passé, qu’elle est capable de s’unir et de se regrouper dans un cadre démocratique et pluraliste, telle est la tâche de l’heure. Le Front de Gauche doit s’ouvrir à tous ceux qui ont pris une part active à cette campagne et qui veulent construire l’outil des victoires futures.

Janette Habel
(1) souligné par nous.

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