Un extrait des "Avoeux" de Georges Wolinski |
Au soir de la disparition dramatique de l'équipe de "Charlie-Hebdo", je suis descendu dans la rue, comme 100.000 autres compatriotes de toutes origines -suivis par 700.000 autres trois jours après- afin, comme chacun, de me recueillir en mémoire des victimes, de condamner cet acte barbare, et de défendre la liberté d'expression en levant bien haut un crayon...
A Grenoble, la foule compacte et émue du premier rassemblement refusa de reprendre l'hyme national entonné par un petit groupe sous le balcon où se tenait un préfet en mission... L' hymne guerrier entonné par quelques uns fut vite étouffé aux cris de "Char-lie!" "Char-lie!". Soit-dit en passant, le doux antimilitariste Jean Cabu honnissait la Marseillaise.
J'étais bien loin d'imaginer quelle formidable opération de récupération politico-médiatique internationale était en train de se tramer à l'Elysée et à Matignon, alors que les tueurs couraient encore...
Le coup de l' union sacrée mondiale "contre le terrorisme".
Pour Hollande et Valls, rien n'est trop grand lorsqu' il s'agit de défendre les valeurs sacrées de la République et les libertés fondamentales. Dimanche à Paris, baskets aux pied, une brochette de
L'idée géniale des ordonnateurs de cette marche républicaine (?) couverte mètre par mètre par les télés du monde entier est de tirer spectaculairement profit du retentissement de ce crime contre la liberté d'expression en fournissant également l'occasion d'en profiter à d'autres dirigeants politiques dont le bilan n'est pas irréprochable en matière de respect des droits humains fondamentaux.
Ont ainsi répondu favorablement à l' invitation de l'Elysée, selon le journal Le Monde : " ...la chancelière allemande Angela Merkel, le premier ministre britannique David Cameron, le président du conseil italien Matteo Renzi, le président du gouvernement espagnol Mariano Rajoy, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, le président du Parlement européen, Martin Schulz, le président du Conseil européen Donald Tusk, les chefs de gouvernement danois Helle Thorning-Schmidt, belge Charles Michel, néerlandais Mark Rutt, grec Antonis Samaras, portugais Pedro Passos Coelho, tchèque Bohuslav Sobotka, letton Laimdota Straujuma, bulgare Boïko Borisov, hongrois Viktor Orban et croate Zoran Milanovic ainsi que le président roumain, Klaus Iohannis.
Hors UE: le premier ministre Benyamin Nétanyahou, avec son chef de la diplomatie Avigdor Lieberman, le président palestinien Mahmoud Abbas, le roi de Jordanie Abdallah II et la reine Rania, la présidente de la Confédération suisse Simonetta Sommaruga, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov, la présidente du Kosovo Atifete Jahjaga, les premiers ministres albanais Edi Rama, turc Ahmet Davutoglu et géorgien Irakli Garibachvili, le président ukrainien Petro Porochenko et le premier ministre tunisien Mehdi Jomaa. L'Afrique est représentée par les présidents malien Ibrahim Boubacar Keïta, gabonais Ali Bongo, nigérien Mahamadou Issoufou et béninois Thomas Boni Yayi, l'Amérique du nord par le ministre américain de la justice Eric Holder et le ministre canadien de la sécurité publique Steven Blaney... "
On s'émeut presque de l'absence d' autres champions parmi les plus notoires de la lutte anti-terroriste : Monsieur Poutine marchant aux côtés de l'Emir du Quatar, lui-même avançant bras-dessus bras-dessous avec S.M Abdallah 1er, roi d'Arabie Saoudite, ça aurait eu de la gueule sur le pavé parisien...
Durant cet interminable quinquennat, Hollande, le toutou de Merkel, le béni oui-oui de l'impérialisme US, et Vals, carpette du sionisme, de l'oligarchie et de l'Emirat du Quatar, ne nous auront absolûment rien épargné.
Sarkozy hier, Hollande et Vals aujourd'hui ne sont au fond que les fossoyeurs de cette république finissante.
Une république dont l'histoire ponctuée de lois anti-ouvrières, de coups tordus et de scandales politico-financiers, baigne dans le crime d' Etat, de la pacification en Algérie et la terrible ratonade du 17 Octobre 1961 à Paris jusqu'au massacre d'Ouvéa. Et de Charonnes à l'assassinat de Rémi Fraisse.
JMB
(...) "De deux choses l’une : ou ces morts sont des martyrs, et c’est leur supposer une cause, et toute une métaphysique leur tombe dessus et les colle sur une fresque sulpicienne allégorique de la Nation ; « je vous salue Charlie » devient un grigri machinal, superstitieux, à l’occasion parfaitement tartuffe.
Ou nous nous rappelons que Cabu, Wolinski, Charb, Honoré, Maris et les autres étaient d’abord des corps, des bons vivants au carré, et avant tout des rigolos, Cons autoproclamés et crânes comme pas un sale gosse. Dont toutes les œuvres armées du rire inextinguible, impénitent, que Rabelais libéra autrefois, moquent et repoussent les falbalas cérémonieux que les pouvoirs, religieux et pas, sont intéressés à produire pour accomplir leur fonction qui est de maintenir l’ordre.
Pour le dire autrement : peut-on saluer les génies du rire libertaire, mécréance, mauvaise foi et mauvais goût en options, avec toute la solennité empesée, la componction, le cadre formel d’une « unité nationale » ? Eh quoi, « nationale » ? A chacun son affaire !
A l’Intérieur les frontières, au rire libertaire son utopie sans barrières…
Bien sûr que nous sommes en deuil. Mais doit-on nous souffler, instituer l’unité nécessaire, le style requis, les enjeux symboliques de ce deuil ?
Pourquoi pas, plutôt, un char Cabu, avec fanfare d’enfer et batteries de cuisine ?
Un bal « Cuba et cubis » plein de jolies filles, à la mémoire de Wolinski ?
Des lectures de poésie, des échasses, des équilibristes sur la statue de la République ?
Pourquoi pas l’Union des Anti-musellements, des anti-crétins et des anti-jus dadaïstes de France ? Les Connes et Cons Unis Librement (CCUL) ? Avec Jarry, Satie, Mouna Aguigui, Brassens, Queneau, André Frédérique, Bobby Lapointe, les Apaches et les Zazous ?
Brigitte Fontaine portée en triomphe à l’Elysée ? L’Oulipo à l’Education, et Philippe Caubère aux Cultes ?
Si l’horreur est grave et la tristesse épaisse, raisons de plus pour ne pas en rajouter. Et si la gauche doit se reconstruire, ne doit-elle pas commencer par libérer à nouveau l’énergie qui la rendrait un rien plus sexy, drôle, désirable, vivante, que les tristes sires du pouvoir en place, les « j’aime-l’entreprise-dans-un-monde-ouvert-de-plus-en-plus-compétitif », et les Tartuffes de toutes robes ?
Jean-Christophe Marti.